“Fais-le bien, et laisse dire” (proverbe suisse) – Partie 1: Chapitres 13 à 16

C’est l’été ! Si tu as l’occasion de prendre des vacances, tu auras sûrement l’occasion de lire.

Durant l’été, je publie chaque semaine 4 chapitres de mon autobiographie “Fais-le bien, et laisse dire”, qui est sortie en avril 2020 aux Éditions Tabou.

Plonge dans l’univers captivant de mon livre “Fais-le bien, et laisse dire”:

Quand un journaliste a déclenché l’avalanche médiatique autour de ma personne en août 2014, j’ai vécu des moments très difficile. Il a amené ma vie secrète sur la place publique, alors qu’elle n’était destinée qu’à un public averti.

Pour protéger mon fils, ma famille, mes proches, j’ai décidé de faire l’autruche et de ne répondre à aucune demande d’interview pour raconter ma version des faits. C’était la seule et meilleure solution pour continuer de vivre. En même temps j’étais malheureuse durant ces années, car j’aurais eu envie de répondre à toutes ces personnes qui m’ont jugé sans me connaître et surtout défendre ma liberté d’être moi-même.

Aujourd’hui mon fils est adulte et mène sa propre vie. Cette histoire n’a plus le même impact sur lui. J’ai donc décidé d’enfin être libre et de raconter toute la vérité sur ma vie.

La première partie du livre raconte comment j’ai vécu l’histoire déclenchée par mon tweet sexy depuis ma place de travail, comment j’ai géré la situation et comment je m’en suis sortie.

La deuxième partie raconte ma vie de libertine que je mène depuis que j’ai vingt ans. J’ai déjà eu des retours des premiers lecteurs, notamment de lectrices, que certaines scènes de mes aventures que je raconte seraient trop dures, voir choquantes.

Je suis consciente que mes pratiques ne sont pas communes et peuvent interpeller. Est-ce que j’aurais dû écrire une version soft et/ou zapper certains passages ? Peut-être. Mais en même temps, cela aurait faussé mon histoire. Cela fait partie de ma personne, de ma nature. D’un côté, je suis cette employée sage, une maman poule, une femme joyeuse qui adore rire et qui ne se prend pas au sérieux, mais cela ne m’empêche pas d’avoir des fantasmes très hard et des envies qui virent dans le masochisme. J’avais justement envie de montrer ces côtés de moi et démontrer qu’être une maman douce et aimante n’empêche pas de vivre ses fantasmes sexuels. Le BDSM n’est pas uniquement réservé à des personnages d’un cercle fermé « underground».

Pour moi, défendre le droit des femmes, c’est aussi ça. Encore trop de gens ont tendance à penser que « ça ne se fait pas en tant que mère de famille ». Est-ce que les femmes perdent le droit de vivre une vie sexuelle hors norme dès le mariage ou l’accouchement ? Non, je ne le crois pas.

 – PARTIE 1 –

LA SECRÉTAIRE PORNO DU PALAIS FÉDÉRAL

Chapitre 13: Nouvelle chance

En janvier, je fais de nouvelles photos pour mon curriculum vitae afin de reprendre la recherche d’un emploi, en évitant de postuler auprès de la Confédération helvétique. Comme à chaque fois il ne me faut pas beaucoup de postulations pour recevoir les premières invitations à des entretiens d’embauche. Décidément mon dossier a toujours le même succès et je peux choisir entre deux places que j’aurai à coup sûr. Je me décide pour une place d’assistante de direction dans une conférence cantonale. Dès le premier jour je me sens très à l’aise au milieu de la petite équipe de l’office, qui a son bureau également à Berne, dans un bâtiment qui ressemble à s’y méprendre au Palais fédéral. Pendant que ma prédécesseuse m’initie dans mon travail, elle ne mâche pas ses mots et me prévient que c’est un travail stressant pour un supérieur exigeant. Je me fie à mon instinct qui me dit que c’est ce boulot qu’il me faut. Un travail avec plus de responsabilités, pour une administration cantonale, qui propose les mêmes conditions de travail que la Confédération, tout en étant plus flexible.

 

Le deuxième jour, pendant la tournée de présentations, je reconnais un jeune employé que j’ai déjà croisé aux Services du Parlement.

— Merde, ce n’est pas vrai !

 

Quelle malheureuse coïncidence. Le monde est vraiment petit. Nous nous saluons poliment, en n’évoquant pas que l’on se connaît déjà. J’ai peur qu’il me balance, mais comme je me suis toujours très bien entendue avec lui, j’espère qu’il se taira. Nous nous sommes toujours appréciés, pourquoi devrait-il me faire un coup bas ? J’y crois et je croise les doigts.

 

Je m’intègre rapidement dans l’équipe. L’ambiance est formidable. Je m’entends très bien avec mon chef et les deux collaborateurs.

 

Un matin, après trois semaines, j’ai l’impression, dès mon arrivée au bureau, que l’ambiance est différente des autres jours et que mes collègues sont plus silencieux que d’habitude. En même temps, je ne les connais pas encore assez pour être certaine que quelque chose ne joue pas. Peut-être qu’ils ont juste tous beaucoup à faire et pas l’humeur à discuter. Tout à coup mon chef me demande de le suivre pour un entretien privé. En le suivant dans une des salles de séance, je me demande de quoi il peut bien vouloir discuter, peut-être un problème concernant mon travail ? C’est courant de mener des entretiens pendant les premières semaines. Je ne devine pas ce qu’il va arriver.

 

Une fois assise, il me présente l’article du Blick en me demandant s’il s’agit bien de ma personne. Je suis anéantie. Mon cœur s’arrête sûrement de battre. Je n’arrive plus à réfléchir. J’ai les mêmes réflexes qu’auprès des Services du Parlement, nier. Je ne vois aucune autre solution, car premièrement j’ai la tête vide à ce moment-là et deuxièmement je me vois déjà renvoyée. Je n’aurai plus la force de recommencer à chercher du boulot, de tout reprendre à zéro. Je n’en peux plus.

 

Mon supérieur m’explique gentiment qu’il sait très bien que c’est moi, et que pour continuer sur de bonnes bases il faut que je sois honnête. Il me dit que quelqu’un m’a reconnue (je sais donc qui), en a parlé à sa collègue, qui l’a dit à ma prédécesseure et du coup l’histoire a fait le tour de l’étage. Une rumeur si intéressante se répand très vite. Je suis effondrée. Je lui répète que je veux juste que l’on m’offre une chance de continuer ma vie et de prouver que je suis motivée, que j’adore ce job et que j’y tiens. Je m’excuse pour mon blanc dans mon curriculum vitae et lui demande de me donner une chance. Mon chef me dit qu’il ne souhaite pas non plus me perdre, mais qu’il doit évaluer la situation. Il me demande de rentrer et de rester à la maison jusqu’à ce qu’il voie plus clair dans la situation.

 

C’est comme dans un cauchemar. Je monte dans mon bureau pour prendre mes affaires et partir devant mes deux collègues. Je me sens humiliée et ridicule. J’ai honte. C’est revivre la scène de départ du Parlement une seconde fois. Dans la rue j’appelle en pleurs Vincent pour tout lui expliquer avant de rentrer, effondrée, certaine que c’est fini. Je suis anéantie.

 

Le soir même mon chef me rappelle. Il me dit qu’il est d’accord de me donner une seconde chance et de trouver une solution pour continuer le chemin ensemble. Je pourrais lui sauter au cou de joie. Ce n’est pas fini. J’ai toujours un sentiment d’incertitude, mais au moins il y a de l’espoir.

 

Selon moi il a décidé de me donner une chance, car le courant est bien passé entre nous dès le début de notre relation de travail, mais aussi parce qu’il a vu que je me suis investie corps et âme au travail. En plus, cette fois je suis encore plus motivée que d’habitude, puisque ce boulot représente carrément la chance d’entamer une nouvelle vie professionnelle, de me refaire une réputation et de retrouver la reconnaissance de la société.

 

J’ai appris bien plus tard, et j’en ai eu la confirmation par mes collègues, qu’en vérité mon chef n’a pas du tout apprécié ma situation et mes mensonges, mais étant calculateur, il ne m’a gardée que dans son propre intérêt. Il aurait mentionné aux autres collaborateurs que « les employés avec une mauvaise conscience sont les meilleurs employés ».

 

Le lendemain matin c’est une situation bizarre de retourner à ma place de travail et de retrouver mes deux collègues. L’ambiance est crispée. Mon chef a mis au courant le président, le vice-président ainsi qu’un troisième membre du comité directeur, qui lui ont tous donné leur accord pour me garder. Le service du personnel a également été mis au courant. Celui-ci a conseillé à mon chef de me faire signer un document qui précise qu’en cas de nouvelle affaire j’en porterais seule les conséquences, avec une séparation immédiate. Mon chef s’est protégé et a assuré ses arrières. C’est une situation très humiliante pour moi, mais je suis prête à affronter cela pour garder mon travail. Je n’ai pas peur de ce que les autres pensent de moi car je veux juste pouvoir continuer de travailler et me reconstruire professionnellement.

 

Mes collègues réagissent de différentes manières. Mon chef invite tous les collaborateurs pour un entretien durant lequel j’ai l’occasion de raconter mon histoire. J’ai très envie de m’expliquer ouvertement et honnêtement, mais c’est bizarre de parler de tout ça en allemand car mes blogs n’existaient qu’en français. J’ai l’impression de ne pas pouvoir ou savoir m’exprimer correctement, de ne pas vraiment être en mesure de peser mes mots comme il le faut. C’est bizarre et en plus gênant de raconter ma vie privée et ma vie sexuelle à mes collègues et à mon chef. Des personnes que je ne connais que depuis trois semaines.

 

Mon chef demande à mes collègues s’ils peuvent s’imaginer continuer de travailler avec moi. Le premier me dit qu’il a l’impression d’être trahi et que tout ce que je lui ai raconté jusqu’à présent n’est que mensonges. Est-ce que l’on peut encore avoir confiance en moi ?

 

Je le rassure en lui disant :

— Mais oui. Absolument tout ce que je t’ai raconté est vrai. Ma vie de famille, mon fils, mes parents, mon mari, la fille de mon mari, ses enfants à elle, mon cheval, ma maison, ma vie de mère de famille. Je suis authentique. Je ne t’ai pas menti. Jamais. Je n’ai juste pas tout raconté, en zappant mon engagement auprès des Services du Parlement. J’ai gardé un côté de moi, une partie de mon histoire, secret mais j’avais mes raisons. Si j’avais été honnête, est-ce que vous m’auriez donné une chance ? Si vous aviez su que c’était moi la secrétaire porno du Palais fédéral, est-ce que vous m’auriez engagée en vous disant que je suis le bon choix ? Est-ce que vous auriez vu celle que je suis aujourd’hui, la bosseuse, la motivée, la drôle, la souriante ? Est-ce que vous n’auriez pas vu en moi juste la vulgaire, la salope, la scandaleuse ? Est-ce que vous n’auriez pas consulté toutes les pages et images pornographiques qui circulent sur moi sur Internet pour en rigoler et ensuite enterrer mon dossier ? Soyez honnêtes.

 

Et là, ils me donnent raison. Le second de mes collègues partage sa peur que le bureau puisse avoir des soucis à cause de mon engagement :

— J’ai une famille, des enfants. Je ne peux pas me permettre de perdre ma place.

 

Mon chef nous donne ensuite des instructions concernant notre comporte ment en cas de demandes externes, que répondre et qui informer. Il réagit extrêmement bien et professionnellement.

 

Quelques jours plus tard, le premier collègue me raconte plus en détail comment ils ont eu connaissance de mon passé. Une personne leur a envoyé par mail les liens de mes vidéos.

— Mais ce n’est pas comme si maintenant je dois toujours penser à ça quand je te vois, promis, veut-il me rassurer.

 

Je ne le crois pas, mais ça ne me fait rien de croiser tous les jours mes collègues en sachant qu’ils ont vu mes fesses et bien plus. J’ai toujours assumé mes vidéos et mon image, et je n’ai aucun problème avec ça. Je n’ai jamais publié quelque chose dont je ne suis pas fière. La question peut se poser si l’on peut être fière d’images pornographiques ? Moi je le suis car c’est resté, en tout cas à mon goût, toujours classe, joli et représentait ce que j’étais vraiment. Mes vidéos, c’était moi, avec des fous rires, des rigolades, des interviews, de magnifiques images qui entouraient les vidéos. Ce n’était pas que du hard. J’ai toujours apprécié le talent de Vincent de me mettre en valeur et de créer de véritables œuvres d’art, surtout les vidéos glamours que l’on faisait pour notre plaisir.

Chapitre 14: Adeline never die

J’ai déjà évoqué que j’ai l’impression que les médias ont tué d’une certaine manière mon personnage d’Adeline. C’est vraiment ce que je ressens. Mais un matin je me suis dit que non, Adeline n’est pas et ne sera jamais morte. Je continue à faire ce que j’ai toujours aimé faire, mais juste sans la caméra. Intérieurement je n’ai pas changé, Adeline continue de vivre. Et qui sait, peut-être qu’un jour elle reviendra pour de vrai, même sur Internet. Qui peut le savoir. J’ai besoin de me le dire, de le montrer à tout le monde et l’idée me vient de me faire tatouer les mots : « Adeline never die » (Adeline ne meurt jamais).

 

Ça peut paraître kitsch, immature et exagéré, mais ce tatouage est comme une thérapie pour moi.  Cela me fait du bien. Sur la table du tatoueur bernois, un Romand, celui-ci me reconnaît tout de suite.

— Tu n’as pas travaillé au Palais fédéral ? me demande-t-il.

 

J’acquiesce. Comme il est positif sur l’affaire et connaît mes vidéos, mes blogs, nous parlons longuement sur le sujet. C’est chouette de pouvoir tout raconter à un inconnu sans avoir l’impression de se faire mal juger.

Chapitre 15: Fans et curieux

Comme c’est le cas chez le tatoueur, même avec mes cheveux courts et mes lunettes, il y a toujours des gens qui me reconnaissent. J’avais déjà par le passé l’habitude de me faire aborder de temps en temps dans la rue, les magasins, les restaurants ou ailleurs, par des personnes qui suivaient le blog, les médias sociaux ou mes vidéos. En Suisse un peu moins, mais en France, ça m’arrivait régulièrement, et aujourd’hui encore. Je ne peux pas aller à Paris sans que quelqu’un m’aborde. Souvent c’est juste un compliment ou pour me saluer par mon prénom, parfois pour demander une photo souvenir. Ce plaisir je le donne toujours aux personnes qui le demandent. Je n’y ai pas renoncé. Cela me flatte énormément, et parfois je me sens comme une « star ». Par contre quand je suis en famille, cela me plaît moins, et c’est dans ces moments que je suis une sacrée comédienne.

Un jour, dans le métro, à Paris, quelqu’un me demande si je ne suis pas une actrice ? Mon fils se trouve à côté de moi.

— Non, désolé, pas du tout, monsieur, je lui réponds en souriant.

— Si, si, j’en suis sûr, qu’il insiste.

Intérieurement je me dis que ce n’est quand même pas possible. Avec mon relooking il ne devrait pas me reconnaître si facilement. Je lui répète qu’il doit se tromper de personne. Un échange de regards avec Vincent suffit pour nous mettre d’accord de sortir du métro au prochain arrêt, même si ce n’est pas la destination prévue. Une fois à l’extérieur du wagon, je rigole avec mon fils de ce malentendu et du fait que l’on m’a prise pour une grande actrice. Heureusement le mec n’a pas dit « actrice x », mais juste actrice.

Ce n’est qu’un échantillon de plein de situations identiques. Est-ce que mon fils n’a jamais eu un doute sur mes activités? Je n’en sais rien, je ne le crois pas, puisqu’il est très rêveur, un peu tête en l’air, et que nous avons toujours gardé une relation formidable, complice, plutôt amicale que mère-fils, certainement due à mon jeune âge quand je l’ai eu.

De me faire reconnaître dorénavant surtout en Suisse alémanique est moins agréable. Les articles dans la presse ont déplacé l’intérêt sur ma personne dans le grand public, et non plus juste pour des personnes averties. Ces nouvelles personnes qui me reconnaissent dans la rue ne sont jamais méchantes. Il s’agit surtout de curiosité ou de voyeurisme.

Un soir, nous mangeons avec Vincent sur une terrasse de la vieille ville de Berne et à la table d’à côté il y a un groupe de recrues en uniforme militaire. Ils commencent à me regarder et à me prendre en photo de loin avec leurs smartphones. Quand je me rends aux toilettes, on me suit pour me prendre en photo en cachette. C’est d’un côté amusant à observer, mais d’un autre côté très désagréable et gênant. Dans d’autres occasions, on me dit juste que mon visage leur rappelle quelqu’un. « Est-ce que l’on ne s’est pas déjà vus ? », « Est-ce que vous travaillez dans le coin ? Il me semble que l’on s’est déjà vus », ou souvent directement « Est-ce que vous n’avez pas travaillé pour le Parlement suisse ? ». Dans ces moments, je regrette surtout d’avoir coupé mes cheveux. Ce pas dans mon relooking fut un énorme sacrifice dans l’espoir de passer inaperçue. Heureusement que je n’ai pas payé trop cher pour ma nouvelle coupe de cheveux ni pour mes lunettes qui ne servent finalement à rien. Ma tête semble être unique.

À part les gens qui me reconnaissent suite aux images dans les médias, il y a toujours des aficionados des vidéos qui continuent à me reconnaître, dont un dans la maison où je travaille, et qui m’avoue un matin dans les escaliers être mon plus grand fan, qu’il a toujours admiré ma liberté de faire ce dont j’ai envie et qu’il est désolé de ce qui m’est arrivé. Je lui demande de rester discret, mais ce n’est pas de personnes comme lui que j’ai peur. Ce n’est pas quelqu’un qui me veut du mal, mais juste un admirateur secret, sûrement marié et qui le soir lisait mon blog et regardait mes petits films sur Internet en secret. Cette discussion me surprend car je réalise que même des personnes suisses allemandes suivaient mes aventures et regardaient mes vidéos.

C’est vraiment étonnant, vu que tout le contenu de mon site était en français. Je découvre vite que ce n’est pas le seul. Pendant une conférence de travail, un des participants se révèle également comme un grand fan de mes films. À ce moment-là, je suis tellement habituée que l’on me reconnaisse que je ne suis pas surprise. Je parle très ouvertement avec lui, en lui demandant la plus grande discrétion. Je n’ai pas peur qu’il me dénonce, vu que tout le bureau est au courant et que mon chef me soutient. Le fait que mon chef et les autres responsables de la conférence soient au courant de mon passé se révèle comme un énorme avantage.

Un matin, je découvre dans ma boîte de réception professionnelle un courriel d’un fan français qui, en me recherchant, a retrouvé ma trace. Quel choc. Comment est-ce possible ? En y réfléchissant, la seule possibilité de me retrouver est ma photo sur le site Internet de l’entreprise. J’en parle de suite à mon supérieur et à mes collègues, et après une courte concertation on décide d’enlever toutes les photos des collaborateurs sur le site. Pas seulement la mienne, parce que cela ferait étrange, mais celles de tout le monde.

— De toute façon, on n’a pas besoin de voir nos têtes, fut la réponse de mes collègues.

On a également rompu la tradition de la carte de Noël électronique en forme de photo de groupe. Cette année, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, l’entreprise a envoyé une image neutre. J’apprécie vraiment ces gestes de soutien, car depuis je n’ai plus ce genre de soucis.

Chapitre 16: Histoire de nom

Je souffre beaucoup de ne plus porter le nom de famille de mon mari. D’ailleurs je ne l’ai jamais dit à mon entourage. Comment aurais-je pu l’expliquer sans devoir parler de mes vraies raisons. Ça fonctionne très bien ainsi mais c’est une situation gênante pour moi.

 

Au printemps, je décide d’accompagner ma mère pour quelques jours de vacances à Stockholm. Au moment de la réservation des billets d’avion, elle s’aperçoit de mon changement de nom.

— Tu ne m’as pas donné le bon nom de famille, ma fille.

 

Elle a déjà peur de ne pas pouvoir décoller.

— Non, ça joue. En faisant ma carte d’identité, ils ont mis par erreur mon nom de jeune fille. Je vais devoir m’en occuper dès notre retour.

 

Encore un mensonge de dernière minute complètement bidon. Elle ne dit rien, mais je sais qu’elle se pose plein de questions. Malgré ce non-dit entre nous, nous passons de superbes moments en Suède. Je préfère toujours passer mes vacances avec ma propre petite famille, mais je veux lui faire plaisir, et peut-être aussi par ce geste me racheter indirectement et lui prouver que je suis une bonne fille.

 

C’est à l’occasion de ce séjour que je lui raconte que j’ai changé de travail. Jusqu’à ce moment je n’ai jamais eu le courage de le lui dire, car pour moi le changement de travail équivaut à une forme d’aveu. Du genre : « Oui, j’ai vraiment fait cette bêtise. C’était moi et je me suis fait virer comme une malpropre ». Je lui raconte n’importe quelles raisons et j’embellis le tout, en ne parlant que des bons côtés du changement. J’aurai plus de responsabilités. Je ne serai dorénavant pas qu’une petite secrétaire, mais une assistante de direction, etc. C’est absolument vrai car mon nouveau travail est plus intéressant, j’ai beaucoup plus de responsabilités, et au lieu de passer des heures devant la copieuse et à emballer le courrier à la cave, je dois dorénavant organiser des conférences avec plusieurs centaines de personnes, des sessions, les séances du comité directeur, je soutiens toute l’équipe de l’office technique dans toutes les tâches, je m’occupe du personnel ainsi que de la comptabilité. Mais je n’ai pas raconté que je gagne moins en travaillant plus, et que je n’ai pas choisi volontairement de quitter mes chouettes copines de bureau ainsi que mon lieu de travail unique dans le Palais fédéral, dont j’étais tellement fière.

 

De ne plus porter le même nom de famille que mon mari et mon fils me pèse de plus en plus. J’ai envie de le retrouver, mais en faisant des recherches sur Google, je tombe toujours sur les fameux sites et liens de revenge porn. Régulièrement je remplis les formulaires de demande en ligne afin de couper les liens, comme je l’ai déjà fait à maintes reprises par le passé, et régulièrement les sites et les liens disparaissent après plusieurs semaines avant de réapparaître quelques mois plus tard. C’est un jeu fatigant, voire stressant, un cercle vicieux. Je n’ai toujours pas compris à qui ça apu faire plaisir, et à qui ou à quoi ça a pu servir.

 

Je discute avec mon chef, en lui expliquant la situation et qu’il est pour moi important moralement que je reprenne le même nom de famille que mon mari et mon fils. Je lui soumets l’idée de rechanger de nom mais en continuant à travailler sous mon nom actuel de jeune fille. Est-ce que c’est possible ? Je l’espère. Il me demande comment on pourrait expliquer ça à mes collègues de travail ?

— Nous ne sommes peut-être pas obligés de leur dire ? De toute façon, personne ne va me demander ma carte d’identité. Et si quelqu’un tombe dessus, on pourra toujours expliquer que l’on n’avait pas envie de tout changer par simplification administrative.

 

Il est d’accord. Il en discute avec la cheffe du personnel. De son côté ce n’est également pas un problème car il semble que c’est usuel que certaines personnes travaillent avec un alias. Nous informons encore le membre du comité directeur, qui contresigne chaque contrat de travail avec mon chef. Pour lui, ce n’est pas non plus un problème. Je suis donc libre de reprendre mon nom de femme mariée. Encore une fois je suis surprise et reconnaissante du soutien de mon employeur actuel. Même si, avec le temps, j’ai compris que mon chef faisait tout ça pour me lier et me fidéliser à lui, et que ce n’était pas entièrement par pure amitié.

 

De rechanger de nom me coûte très cher. Les frais administratifs sont énormes ainsi que tous les frais pour refaire toutes mes cartes bancaires et mes papiers officiels. À mes yeux ça vaut le coup. Je retrouve enfin ma vraie identité. Il est clair qu’il ne s’agit que d’un nom, mais pour moi c’est très important. Je me trouve bizarre d’utiliser mon nom de jeune fille dans le cadre professionnel et le reste du temps mon nom de femme mariée. Je dois souvent me concentrer afin de ne pas me tromper au téléphone ou en signant des documents, mais ce n’est qu’une question d’habitude et je suis tellement fière d’avoir retrouvé mon nom de famille.

Adeline Lafouine
administrator

Related Articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Le contenu est protégé !!
X